À l’occasion de la publication de « L’Arrache-chair » en français, nous avons eu envie de mettre en avant le travail d’Oto Toda, mangaka au style singulier et qui pourrait bien surprendre dans les années à venir. Nous lui avons posé des questions sur son rapport aux mangas, mais aussi sur la création de « L’Arrache-chair » et comment cette œuvre lui a permis d’avancer. Découvrez son interview sans plus attendre !

L'arrache chair


Akata : Vous dites qu'avant de vous lancer dans la réalisation de « L'Arrache-chair », vous avez pris le temps de vous documenter sur de nombreux sujets LGBTQ+. En quoi était-ce utile ? Dessiner ce manga vous a-t-il été d’une quelconque aide dans votre propre parcours ?

Oto Toda : C'était indispensable que je me renseigne. Par exemple, je ne savais pas si les opérations de réassignation avaient des conséquences sur la santé ou non. D'ailleurs, j'ai trouvé incroyables les personnes qui décident de se faire opérer tout en sachant les risques éventuels. En tout cas, même si dessiner « L'Arrache-chair » ne m'a pas permis d'effacer mon mal-être, je dirais que ça m'a permis de faire le tri dans tout ce que je ressentais.

 



Akata : Auriez-vous aimé pouvoir lire une œuvre comme « L'Arrache-chair » quand vous étiez au collège ? D'une certaine manière, peut-on dire que c'est une œuvre que vous avez écrite pour la personne que vous étiez à cette époque ?

Oto Toda : Si j'avais pu lire une œuvre telle que « L’Arrache-chair » quand j'étais au collège, ça aurait été vraiment super ! J'espère que les jeunes qui liront ce manga réaliseront qu'ils peuvent choisir un chemin différent de celui que l'on veut leur imposer. En fait, je n'ai pas écrit ce manga pour la personne que j'étais autrefois, mais plutôt pour toutes celles qui rencontrent des difficultés avec leurs parents. La première chose que je voulais exprimer avec ce titre, c'était : « Ne vous laissez pas faire par vos parents ! » J'espère que n’importe qui éprouvant des doutes, des errances, même différents de ceux de Chiaki, pourra se reconnaître dans cette histoire.


Akata : Après la publication de « L’Arrache-chair », quels genres de retours avez-vous eus ? Avez-vous reçu des avis de personnes trans ?

Oto Toda : J'ai reçu énormément d'avis, aussi bien positifs que négatifs. Alors que j'étais justement en train de sombrer à cause des critiques, j'ai reçu un courrier de fan qui m'a fait vraiment beaucoup de bien. Il disait : « Tu ne te trompes pas. Merci d'avoir dessiné ce manga. » C’est comme si on m’avait lancé une bouée de sauvetage.
Oui, vraiment, ça me comble d'avoir dessiné ce manga.


Akata : Quand vous étiez enfant, quel type de mangas lisiez-vous ? Des œuvres du « Shônen Jump », par exemple ?

Oto Toda : Quand j'étais enfant, j'adorais le « Shônen Jump » ! Mais je lisais des mangas sans distinction de genres, aussi bien des shônen que des shôjo.
Avec du recul, je peux dire que j'ai beaucoup relu « Yuyu Hakusho », « Slam Dunk »« Naruto », « Parasite », « Fullmetal Alchemist » et « Gantz ».


Akata : Dans les mangas que vous avez lus, avez-vous déjà rencontré des personnages trans ?

Oto Toda : Quand j'étais en première année de collège, j'avais trouvé en librairie d'occasion un manga de Chiyo Rokuhana, intitulé « IS, Otoko demo onna demo nai sei » (littéralement : « IS, ce genre qui n'est ni homme ni femme »), et ça m'a laissé un souvenir marquant.
Haru, le personnage principal, est assigné femme à la naissance, mais se sent homme. Je me souviens que je m'étais dit que ça m'avait permis de réaliser à quel point la notion de  genre est complexe. Et aussi, ça avait été si rassurant… Je n'étais donc pas la seule personne à ressentir un malaise vis-à-vis de mon genre supposé.


Akata : Et en grandissant, à l'adolescence, lisiez-vous toujours autant de mangas ?
D'ailleurs, avec votre expérience aux côtés de mangakas, avez-vous noté une différence entre dessiner des shônen ou des shôjo ?

Oto Toda : À l'adolescence, je lisais encore de tout, mais en majorité des shônen.
Sinon, du côté de la création, j'ai effectivement assisté sept mangakas et j'ai donc pu observer à quel point chaque personne a une approche du métier qui lui est propre. Personnellement, je trouve que les shôjo sont bien plus difficiles à réaliser. J'ai beaucoup galéré pour dessiner – dans le sens « donner une forme » –, la subtilité des sentiments des personnages. Mettre ça en dessins, ce n'est pas simple ! Par exemple, quand on doit exprimer l'émoi qu'on ressent quand on est attiré par quelqu'un, quels types d'ambiances ou de trames sont appropriés ? Ce genre de trucs, ça me prenait beaucoup trop de temps…


Akata : Au cours de votre vie, mais aussi en tant que mangaka, vous a-t-on souvent dit des choses comme « puisque vous êtes une femme, vous devez faire ceci ou cela », « lire ceci ou cela », « dessiner ceci ou cela » ?

Oto Toda : Quand j'étais à l'école primaire, on me disait souvent qu'en tant que « fille », je ne devais pas m'asseoir en écartant les jambes, ou même marcher avec les pieds tournés vers l'extérieur. Que je ne devais surtout pas utiliser le pronom « ore » ou même avoir les cheveux courts, et que j'aimais probablement le rose. On essayait aussi souvent de me faire dire que j'aimais le magazine « Ribon »… Au collège, tout ça a fini par m'épuiser et j'ai décidé de vivre aux yeux des autres en tant que « fille ».
D'ailleurs, ça n'a pas loupé. Quand j'ai dit que je voulais devenir mangaka, mes camarades m'ont dit que je devrais postuler dans des magazines shôjo !

Akata : Pensez-vous qu'il est important que l’on puisse voir de plus en plus de représentations LGBTQ+ dans les médias, mais aussi dans les œuvres culturelles ?

Oto Toda : Je pense que c'est vraiment crucial ! Par contre, je trouve que c'est vraiment mieux si la manière dont on découvre l'identité ou la sexualité des personnages est fluide, comme naturellement montrée. À l'inverse, utiliser une étiquette « LGBTQ+ » comme un prétexte pour attirer des « clients », ça me gène. J'aime que les identités des personnages soient intégrées dans les histoires et que ça rende le tout encore plus passionnant. C'est selon moi la meilleure manière de faire.


Akata : Pour finir, un petit message pour les lecteurs et lectrices francophones ?

Oto Toda : Merci de l'intérêt que vous porterez à mon manga. S'il apporte ne serait-ce qu'un tout petit peu de réconfort à la solitude que vous ressentez peut-être, alors ça me comblera. Et sachez que moi, de l'autre côté du monde, au Japon, je continue de mener ma vie !